Cari castagni

Châtaigniers

Parce que cet arbre a façonné les modes de vie de nombreuses populations paysannes pendant des siècles, on a parlé de « civilisation du châtaignier ».

Parata d’Orezza
Castagniccia

En Corse, et particulièrement dans la vallée d’Orezza d’où je viens, c’est une évidence de dire que les châtaigniers représentent un pan fondamental de notre patrimoine.

Pendant des siècles, ces arbres majestueux ont imprégné toute la vie de nos communautés villageoises et constituent de véritables marqueurs culturels.

Jusqu’au milieu du XX° siècle, l’alimentation, l’artisanat, les paysages mais aussi les imaginaires ont  tourné autour du châtaignier. C’est parce que nos liens sont profonds, parce que nos destins sont mêlés, que l’on doit aujourd’hui entretenir nos arbres et leur rendre hommage.

A castagna in Corsica

C’est à partir du XII° siècle que la culture du châtaignier se développe en Corse.

Gouvernée par Pise entre 1077 et 1299, l’île commence à intégrer des techniques agricoles toscanes. Avec la conquête de l’île par Gênes, à partir du XVI° siècle, la castanéiculture connaît un nouvel essor. Une ordonnance du 28 août 1548 impose aux propriétaires de « planter chaque année quatre arbres fruitiers – figuier, olivier, mûrier et châtaignier » sous peine de payer 3 livres d’amende pour chaque arbre non planté.

Le 12 novembre 1619 une nouvelle ordonnance contraint chaque propriétaire à planter au moins dix arbres. Le 2 décembre 1626 ordre est donné de semer une centaine de châtaignes dans chacune des circonscriptions nobiliaires de l’île, les plants obtenus étant destinés à être replantés dans des terroirs favorables. Vingt ans plus tard, une dernière ordonnance édictée le 25 janvier 1646 donne ordre de planter dix châtaigniers avant la fin du mois de mai – et il était explicitement notifié que ces pépinières devront être protégés du bétail.

C’est dans le massif du Nord de l’île que les châtaigniers trouvent les conditions naturelles les plus favorables à leur expansion et les populations peuvent peu à peu se passer des céréales trop chères et souvent importées. C’est ainsi que cette région a pris le nom de Castagniccia.

Si on a pu atteindre 35000 hectares de châtaigneraie en Corse, on est plutôt aujourd’hui aux alentours de 12000 hectares, et seuls un peu plus de 1000 hectares sont désormais exploités. Il faut dire que l’exode rural, l’exploitation industrielles des tanins et l’essor de la société de consommation ont tous contribué au déclin… Le célèbre Lamentu di u Castagnu de Paoli di Tagliu a brillamment exprimé cette désolation dès le début du XX° siècle.
Aujourd’hui ce sont les maladies et le réchauffement climatique qui incarnent les pires menaces, mais des forces continuent de se mobiliser pour donner un avenir à nos châtaigneraies corses.

Châtaigne et bogues de Morati
Jean-Claude Morati
Estampe japonaise de Yoshida Toshi
Yoshida Toshi
Ramassage des châtaignes par Ernest Smith
Ernest Smith
Chestnut all over the world

La châtaigne se récolte dans le monde entier et il en existe trois variétés différentes:

la châtaigne américaine (Castanea Dentata), la châtaigne japonaise (Castanea Crenata) et la châtaigne européenne (Castanea Sativa), toutes sont comestibles et nourrissent les populations depuis des siècles.

On est en général peu conscient de cette vaste géographie de la châtaigne. Sait-on par exemple que la France n’est que le 10e producteur mondial de châtaignes avec quelques 8000 tonnes? Bien après la Chine (presque 2 millions de tonnes), la Turquie (63000 tonnes), la Grèce (63000 tonnes), la Corée du Sud (52000 tonnes),  l’Italie (52000 tonnes), le Portugal (30000 tonnes), le Japon (19000 tonnes) l’Espagne (18000 tonnes), la Corée du Nord (12000 tonnes)…

Et évidemment, comme en Corse, si la châtaigne est cultivée comme aliment, elle nourrit aussi les imaginaires de tous ces peuples qui n’ont cessé de la célébrer. Des haikus du poète japonais Basho aux poèmes endiablés du chilien Pablo Neruda, des enluminures médiévales aux natures mortes de Chardin ou Van Gogh, on la retrouve partout, modestement glorifiée.

Adriaen Coorte
Georges Lacombe
Poétique et politique de la châtaigne

Aujourd’hui, j’apprends à entretenir quelques châtaigniers au village.

Car oui, ils ont beau avoir passé les 300 ans, ils ont besoin de soin. Et ils nous offrent tellement en échange… Il y a bien sûr leurs fruits mais aussi leurs feuilles, leurs fleurs, leurs bogues, leurs rejetons…

Autant d’éléments à composer et recomposer dans le cadre d’atelier de landart avec mes filles ou d’autres enfants. 

Autant d’inspirations qui ont mené de nombreuses artistes et écrivains du monde entier à célébrer la châtaigne – sa beauté et sa générosité. 

Autant de prises pour s’efforcer de résister à la déculturation, à l’oubli, à la mort de la châtaigneraie et des modes de vie paysans et solidaires qu’elle a fait exister.